Règles budgétaires européennes : Sacrifice de l’écologie

par | Oct 16, 2024 | Finance | 0 commentaires

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L’écologie sacrifiée sur l’autel des règles budgétaires européennes

La discussion sur le budget, essentiellement axée sur la réduction de la dette, ne répond pas aux besoins d’investissements pressants pour la transition écologique et sociale. La France se doit de déplacer le débat à Bruxelles, selon l’analyse d’Ollivier Bodin, ex haut fonctionnaire européen et Alain Grandjean, économiste et président de The Other Economy.

La Commission européenne et les gouvernements de l’Union européenne (UE) sont actuellement en discussion sur les trajectoires budgétaires des budgets nationaux à respecter en 2025 et au-delà. Conformément à ce que l’Eurogroupe de juillet a jugé approprié, une orientation budgétaire restrictive est en préparation pour la zone euro.

Sept pays qui représentent 55 % du produit intérieur brut (PIB) de l’UE sont en déficit excessif et devront, conformément aux règles budgétaires européennes, adopter une politique restrictive. De son côté, l’Allemagne, limitée par ses propres dispositions constitutionnelles, sera au mieux neutre, sinon restrictive.

Allons-nous répéter le scénario sombre des années de sous-investissement qui ont suivi la crise de 2008-2009, alors que l’inflation est proche de son objectif de 2 %, que les indicateurs économiques stagnent ou se détériorent et que plusieurs sources d’incertitude subsistent ?

Le fait que la France doive réaliser 110 milliards d’euros d’économies budgétaires, soit plus que 3 % de son PIB au cours des trois à dix prochaines années est devenu un mantra. On discute de la rapidité et des modalités des ajustements, mais pas du chiffre. Tous les analystes, comme ceux du Conseil d’analyse économique, le reprennent à leur compte.

La Commission calcule l’effort budgétaire que les États sont censés réaliser à partir d’un modèle mathématique décrit dans son document institutionnel de mai 2024 sur la soutenabilité de la dette publique. L’économiste Dani Rodrik nous a rappelés dans son essai « Peut-on faire confiance aux économistes ? » que faire appel aux mathématiques et à des hypothèses simplificatrices n’est pas en soi un problème. Mais celui qui fait ou reçoit des recommandations de politique budgétaire doit se demander quels en sont les principes sous-jacents.

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En substance, l’exercice consiste à identifier la trajectoire budgétaire qui permettra de ramener le déficit public en dessous de la limite des 3 % de PIB et mettra la dette sur une pente la rapprochant de la limite des 60 %. L’amélioration annuelle du solde et des dépenses nettes de nouvelles mesures fiscales devra s’inscrire dans un corridor étroit.

Un modèle de prévision mal adapté

Nous ne reviendrons pas sur le manque de fondement et l’origine opportuniste de ces deux chiffres gravés malgré le bon sens dans le marbre du Traité de l’UE. Interrogeons plutôt les hypothèses au cœur du modèle utilisé par la Commission.

Une hypothèse critique concerne la projection du PIB. L’écart entre la croissance de ce dernier et le taux d’intérêt est en effet un facteur déterminant de la dynamique du ratio de la dette. Pour déterminer le PIB à long terme, le modèle de la Commission s’appuie sur le modèle de l’économiste Robert Solow (1956), qui repose lui-même sur une relation empirique entre travail, investissement et croissance formulée par les économistes Charles Cobb et Paul Douglas (relation de Cobb-Douglas, 1928). Ce modèle permet de déterminer un PIB « potentiel » vers lequel le PIB effectif tendra à converger.

Dans la pratique, la détermination de ce PIB potentiel à long terme repose essentiellement sur une projection des heures travaillées et sur une estimation des gains futurs de productivité. Et ces projections sont uniquement basées sur la tendance passée. Une hypothèse très restrictive, qui nie notamment le rôle des politiques publiques sauf celles portant sur le marché du travail.

Pour les court et moyen termes, le PIB est supposé réagir dans l’année à la variation du solde budgétaire (la Commission retient un multiplicateur budgétaire de 0,75 pour tous les pays). Mais les stabilisateurs automatiques – les prestations sociales et autres dépenses publiques qui augmentent mécaniquement en cas de crise économique et soutiennent l’activité – sont supposés éliminer en trois ans maximum l’écart qui se creuse entre PIB et PIB potentiel du fait de la baisse des dépenses publiques.

La conclusion tirée par le Comité budgétaire européen (CBE), dans son évaluation des nouveaux règlements du Pacte de stabilité applicables depuis avril 2024, est qu’en l’absence de chocs majeurs et à condition qu’il ne s’agisse que de chocs de demande, le respect des nouvelles règles mettra la stabilisation budgétaire sur « pilote automatique », ce dont tous les pays bénéficieront. Mais ce raisonnement ne se vérifiera dans la réalité qu’en l’absence de possibles chocs de l’offre et si le modèle traduit bien les interactions réelles au sein du système économique.

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Les investissements essentiels pour la transition écologique sont négligés

Encore plus conséquente est l’hypothèse de stabilité de la structure du système productif sur le long terme. Le modèle ne permet de prendre en compte ni l’impact direct du changement climatique ni les politiques et les investissements mis en œuvre pour l’atténuer et s’y adapter. Il ignore l’énergie comme ingrédient indispensable de la production. Il ne permet pas non plus de prendre en compte d’autres objectifs et défis européens comme la réindustrialisation ou la digitalisation.

En fait, une stratégie d’investissement massif dans la réindustrialisation de l’Europe telle que proposée par le rapport Draghi ne serait pas permise selon ce modèle. En effet, une hausse massive des investissements et une accélération des gains de productivité ne sont pas envisageables sans accroissement des financements publics. Or, ces financements pourraient conduire dans un premier temps à une détérioration du solde budgétaire et du ratio de la dette avant que les investissements privés ne prennent le relais.

Il est donc urgent de reposer la question budgétaire tant en France qu’au niveau européen. Il faut arrêter de considérer ce sujet uniquement à travers le prisme du volume des dettes publiques nationales.

La transition écologique nécessite de toute urgence des financements publics supplémentaires dans chaque pays. Ces financements auront un rendement, y compris en termes de réduction des risques et des coûts du changement climatique.

Des arbitrages entre d’une part des investissements cruciaux pour la sécurité de nos sociétés aujourd’hui et demain et d’autre part une moindre amélioration du solde budgétaire, voire sa détérioration à court terme, doivent être possibles, sauf à vouloir enfermer les économies européennes dans le piège d’un sous-investissement chronique.

Au niveau européen, les responsabilités sont partagées entre États membres et institutions de l’Union. Dans l’immédiat, il revient à la Commission européenne et au collectif des ministres des Finances de faire preuve de discernement afin d’éviter que la première année d’application des nouvelles règles budgétaires soit celle d’une politique d’austérité dangereusement procyclique et incompatible avec la nécessité d’une reprise forte des investissements.

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Pour le plus long terme, les gouvernements et les parlements nationaux devront, comme le rapport Draghi les y a invités, lever leurs vetos à des emprunts communs destinés à financer les biens publics européens. Notre gouvernement doit avoir le courage de porter le débat à Bruxelles.

Cet article a été rédigé par Ollivier Bodin et Alain Grandjean.

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Mathilde Précault

Auteur

Mathilde Précault est une figure passionnée et reconnue dans le monde de la formation en technologies et compétences numériques pour les entreprises. Dotée d'une expertise approfondie en matière de nouvelles technologies, Mathilde a consacré sa carrière à aider les professionnels à naviguer et à exceller dans le paysage numérique en constante évolution. Sa pédagogie unique, alliant théorie et pratique, permet aux apprenants de tous niveaux d'acquérir des compétences essentielles, de la maîtrise des outils de base à l'exploration des dernières innovations technologiques. En tant qu'autrice pour Techdécouverte.com, Mathilde partage ses connaissances et son enthousiasme pour la technologie, offrant aux lecteurs des perspectives enrichissantes et des conseils pratiques pour rester à la pointe de l'ère numérique

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