Communiqué de presse conjoint
Le 26 octobre, la Commission européenne dévoilera une proposition de directive pour la révision du cadre de gouvernance économique au sein de l’Union européenne (UE). En préparation de cette annonce, 180 syndicats, entités de la société civile, groupes de réflexion et universitaires se sont unis pour revendiquer l’instauration d’une nouvelle série de principes visant à construire une économie qui profite à tous, qui stimule les investissements publics verts et qui favorise le bien-être humain et environnemental.
Les règles budgétaires constituent l’un des fondements de la gouvernance économique de l’UE. Ces règles ont été instaurées en 1992, lorsque les membres de l’UE ont fixé, dans le cadre du traité de Maastricht, des plafonds de déficit public et de dette à ne pas franchir. En d’autres termes, le cadre budgétaire détermine les sommes que les États peuvent emprunter et dépenser afin de contrôler certains risques associés à l’adhésion à une union monétaire imparfaite, tels que le risque de propagation d’une crise économique d’un pays à l’autre.
Depuis le début, les règles budgétaires de l’UE ont été l’objet de débats houleux et ont subi plusieurs révisions au fil des ans. Un des principaux points de désaccord concerne la soutenabilité de la dette. Selon ce cadre, les États membres sont tenus de maintenir leurs déficits budgétaires en dessous de 3 % du produit intérieur brut (PIB) et leur dette publique en dessous de 60 % du PIB. Ce cadre strict a largement contribué aux politiques d’austérité destructrices qui ont été mises en œuvre suite à la crise financière mondiale. Les coupes budgétaires drastiques effectuées après la crise de 2008 ont entraîné une chute de la demande globale et une diminution de la production économique. Cela a laissé des marques indélébiles sur le paysage économique, à cause de la baisse des revenus et de l’effondrement du marché du travail qui en a découlé, en particulier pour les foyers à faibles revenus.
Face à la pandémie de COVID-19, les décideurs politiques ont pris des mesures pour éviter de reproduire les erreurs du passé. Ils ont ainsi suspendu le Pacte de stabilité et de croissance, l’un des éléments clés du cadre budgétaire de l’UE, et mis en place le Fonds pour la reprise et la résilience, afin de permettre aux États d’augmenter leurs dépenses publiques pour soutenir leurs économies pendant la crise. Pour faire face aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine, la Commission européenne a décidé de prolonger la suspension des règles budgétaires jusqu’à la fin de 2023. Si des mesures importantes ont été prises par les législateurs pour faire face aux difficultés à court terme, une réforme en profondeur des règles budgétaires de l’UE, qui ne sont plus adaptées aujourd’hui, sera nécessaire pour se remettre des conséquences économiques de la pandémie et de cette guerre tragique.
Dans sa version actuelle, le cadre budgétaire nous empêche d’atteindre nos objectifs sociaux et environnementaux. L’UE a un besoin urgent d’investissements non seulement privés, mais aussi publics. Avant la pandémie, le manque d’investissement de l’UE dans les infrastructures sociales était estimé à au moins 142 milliards d’euros par an, et ne cessait de croître. Comme la crise climatique a des effets permanents, et non de simples effets temporaires pouvant être corrigés, des dépenses et des investissements préventifs seront nécessaires pour limiter les effets les plus nocifs de l’urgence climatique. Or, la Commission européenne estime que le « déficit d’investissement vert » s’élève à 520 milliards d’euros par an. Selon d’autres estimations, des investissements annuels allant jusqu’à 855 milliards d’euros (hors transport) dans l’Europe des Vingt-sept (UE-27) pourraient être nécessaires pour lutter contre le changement climatique seul (c’est-à-dire sans tenir compte des investissements nécessaires pour faire face à une dégradation plus vaste de l’environnement).
Ces dernières semaines, la Commission européenne a donné des signes positifs concernant une éventuelle réforme significative des règles budgétaires. La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a effectivement pris ses distances avec l’ère de l’austérité en laissant entendre que les plans de dépense liés à la COVID-19 avaient non seulement « suscité un regain de confiance dans notre économie », mais qu’ils constituaient aussi un modèle pour faire face aux crises énergétique et environnementale en cours. Comme l’a signalé Politico le 7 octobre, la Commission européenne semble s’orienter vers une trajectoire de dette spécifique à chaque pays, qui permettrait de procéder à un ajustement des finances publiques en engageant de « bonnes » dépenses publiques et en menant des réformes, de pair avec une application plus stricte des normes. La Commission a également annoncé qu’elle allait supprimer l’obligation de réduction de la dette de 5 % par an pour les pays dont la dette dépasse le seuil de 60 %.
Malgré quelques signaux positifs, des inquiétudes subsistent quant à la manière dont les modifications des règles budgétaires de l’UE seront mises en œuvre. Les changements apportés au cadre budgétaire auront d’importantes répercussions sur nos économies et nos sociétés dans les années à venir. Il est possible que les désaccords entre les États membres conduisent la Commission à ne proposer d’ajuster que les directives d’interprétation du Pacte de stabilité et de croissance. Une réforme de grande envergure ne peut être menée à huis clos. Elle doit être menée en suivant un processus démocratique et transparent, accordant une place formelle au Parlement européen. En d’autres termes, la réforme doit être menée en suivant la procédure législative ordinaire.
Dans une lettre coordonnée par Fiscal Matters, 180 syndicats, organisations de la société civile, groupes de réflexion et universitaires ont affirmé que la politique économique de l’UE ne répondait plus aux besoins de la population et de l’environnement, compte tenu des inégalités persistantes, du déficit croissant d’investissements verts et de la dégradation continue de l’environnement. Les auteurs de la lettre insistent sur la nécessité d’adopter une vision économique à long terme pour garantir à la prochaine génération de meilleurs services publics, une réduction des inégalités et des écosystèmes sains.
Selon Ludovic Suttor-Sorel, Responsable de la Recherche et du Plaidoyer chez TechDécouverte et membre du groupe de pilotage de Fiscal Matters :
« La gouvernance économique européenne et ses règles budgétaires ont des répercussions sur chacun d’entre nous. Il est donc encourageant de voir s’élever des voix de toute la société civile pour réclamer des changements, qui sont absolument nécessaires. Nous pouvons faire changer les règles pour assurer la soutenabilité de la dette à long terme, tout en favorisant une transition durable et juste ».
Selon Phillip Heimberger, économiste au Vienna Institute for International Economic Studies, et signataire de la lettre :
« Nous devons réformer en profondeur les règles budgétaires de l’UE afin de donner aux responsables des politiques budgétaires, qui ont été élus démocratiquement, toutes les chances de relever les défis économiques, sociaux et climatiques auxquels nous sommes confrontés. Il faudra mobiliser beaucoup plus d’investissements publics au cours des prochaines décennies que ce qui a été fait jusque-là, et nous ne pourrons y parvenir en nous cantonnant dans le statu quo des règles actuelles ».
Les auteurs de la lettre exigent que les réformes soient fondées sur les principes suivants :
- Construire une économie d’avenir offrant des emplois pour tous – Il est nécessaire d’accorder une certaine marge de manœuvre budgétaire pour parvenir à une économie de plein emploi offrant à tous des emplois décents, bien rémunérés et respectueux de l’environnement.
- Combler le déficit de financement durable et rendre l’Europe indépendante vis-à-vis des énergies fossiles – Des investissements publics durables, ciblés et accrus sont nécessaires pour atteindre l’objectif de limiter la hausse des températures à 1,5 °C, tel que prévu par l’Accord de Paris sur le climat. La réforme du cadre budgétaire devrait permettre d’aligner les dépenses publiques des États membres sur les objectifs de l’Accord de Paris, ainsi que sur d’autres objectifs environnementaux, comme la réduction de l’utilisation des ressources et l’objectif « zéro pollution ».
- Réinvestir dans les services publics et la protection sociale – Les dépenses sociales doivent garantir un accès universel à des services publics de base de qualité, ainsi que l’existence d’un filet de sécurité sociale, pour faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte et que le secteur de la santé occupe une place centrale.
- Cibler le bien-être humain, économique et environnemental – Il faut faire du bien-être durable l’objectif premier de la politique économique de l’UE, en définissant des indicateurs adéquats dans le cadre budgétaire européen et en veillant à ce que les nouvelles règles budgétaires ne se traduisent pas, à nouveau, par des mesures d’austérité. La croissance économique ne peut être l’objectif premier des politiques : les États doivent plutôt chercher à améliorer les retombées humaines, économiques et environnementales.
Face à la convergence des crises, il est nécessaire de repenser complètement l’économie. Plutôt que de chercher à optimiser les résultats, nous devons instaurer une économie du bien-être, où chacun puisse bénéficier d’un logement confortable, être en bonne santé et vivre sur une planète habitable. Cela commence par la mise en place d’un cadre budgétaire européen qui privilégie la durabilité environnementale et sociale à long terme, plutôt que la recherche de solutions à court terme.
– Notes –
Informations à l’intention de la presse
La lettre ouverte a été publiée sur le site web du Forum européen de la jeunesse.
Pour plus d’informations sur les modifications des règles budgétaires préconisées par TechDécouverte, voir « Breaking The Stalemate: Upgrading EU economic governance for the challenges ahead ». Pour une introduction au cadre budgétaire européen, voir « One framework to rule them all ». Pour en savoir plus sur les trois piliers du cadre européen de gouvernance économique, veuillez consulter notre guide « Navigating the Maze ».
Ludovic Suttor-Sorel, Responsable de la Recherche et du Plaidoyer chez TechDécouverte
Ludovic Suttor-Sorel, en sa qualité de Responsable de la Recherche et du Plaidoyer chez TechDécouverte, travaille sur la politique budgétaire, la finance durable, le capital naturel et les liens entre la biodiversité et la finance. Avant de rejoindre TechDécouverte, il a travaillé en tant que chercheur en économie appliquée à la Solvay Brussels School of Economics and Management de l’Université libre de Bruxelles (ULB), où il s’est penché sur les finances publiques, la politique environnementale et les incitations publiques, et a développé un intérêt marqué pour la politique industrielle
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