Finance durable et stabilité bancaire : une équation délicate
Le groupe d’experts sur la finance durable de l’Union Européenne (HLEG) a récemment publié son rapport final, questionnant la possibilité d’instaurer un facteur de réfaction, ou « green supporting factor », applicable aux exigences de capital prudentiel liées aux actifs favorisant la transition énergétique. Toutefois, à TechDécouverte, nous nous demandons si une telle démarche est réellement pertinente, car elle risque de devenir rapidement un avantage pour les banques et un danger pour leur stabilité. À notre avis, pour « verdir » l’offre de crédit, la Commission Européenne devrait plutôt explorer d’autres options, alors qu’elle prépare son plan d’action Finance Durable pour les prochaines semaines.
Nota Bene : Ce post a été initialement publié sur le site principal de TechDécouverte.
L’objectif de diminuer les exigences de capital prudentiel pour les prêts destinés aux projets verts est séduisant, car il soulève un débat longtemps négligé sur le rôle des banques dans l’attribution du crédit. Cependant, le mécanisme du « green supporting factor » semble être un pas dans la mauvaise direction : son impact sur l’environnement serait minime, tandis qu’il rendrait le système bancaire plus vulnérable.
Le « green supporting factor » propose de diminuer les exigences de capital prudentiel des banques pour leurs prêts verts en appliquant une réduction aux facteurs de pondération des risques qui leur sont associés. Les banques pourraient alors financer ces prêts avec une couverture en fonds propres prudentiels plus faible, ce qui entraînerait un effet de levier plus important sur leur bilan, l’un des principaux facteurs de la crise financière mondiale.
En décembre dernier, le Commissaire Européen Valdis Dombrovskis a évoqué l’instauration du « green supporting factor » comme un moyen d’inciter au crédit pour les activités vertes. Dans son rapport final, le groupe d’experts sur la finance durable (HLEG) a adopté une position prudente, remettant en question les conditions nécessaires pour atteindre cet objectif sans pour autant rejeter ou promouvoir cette idée.
D’autres, comme le think tank bruxellois Bruegel, ont clairement rejeté l’idée d’un Green Supporting Factor, le qualifiant d' »irresponsable », tandis que selon l’Institut LSE Grantham, il pourrait même « nuire à la réputation de la finance durable ». Comme eux, nous ne sommes pas convaincus par l’idée du green supporting factor, mais nous apprécions la direction générale qui est envisagée.
Réfléchir à l’allocation du crédit
Avec du recul, il faut saluer le Commissaire pour avoir attiré l’attention sur la nécessité de plus de supervision publique sur la manière dont les banques allouent le crédit. Des décisions qui sont justifiées du point de vue des banques au niveau de chaque crédit pris individuellement peuvent créer des déséquilibres importants au niveau global, et conduire à des problèmes graves comme des bulles immobilières ou un manque de financement pour la transition énergétique. C’est un domaine peu ouvert à l’action législative, et la proposition de Dombrovskis ouvre la voie à un débat nécessaire sur l’orientation du crédit.
Le commissaire a ainsi remis en question la croyance presque religieuse de nombreux banquiers, chercheurs et régulateurs, selon laquelle les facteurs de pondération seraient « purs et exacts ». La régulation prudentielle n’a pas protégé les contribuables lors de la dernière crise. Quelle que soit leur pureté et leur précision, les pondérations en risque découragent la prise de risques utiles et sont impuissants face aux risques imprévus. Les investisseurs les plus avisés ont ignoré les ratios de solvabilité prudentielle des banques lors de la crise de 2008. Le simple ratio de levier s’est avéré être un meilleur indicateur du risque de faillite d’une banque, et il l’est toujours. Les facteurs de pondération en risque pourraient-ils être utilisés de manière plus efficace, comme l’orientation du crédit vers les actifs verts ? C’est une idée provocatrice.
Cependant, un facteur de réfaction sur les pondérations en risque n’est pas la bonne manière d’encourager le crédit vert. Les recherches suggèrent qu’il faudrait des ajustements significatifs sur les pondérations pour avoir un réel impact sur le crédit effectivement alloué. Dans les cas où ils ont été expérimentés, des facteurs de réfactions de 25% sur certaines catégories d’actifs, dans les deux sens, n’ont eu que peu ou pas d’effet sur le crédit, y compris dans le cas de l’expérimentation dans l’Union Européenne d’un facteur de réfaction pour encourager le crédit aux PME[1]. Des augmentations des pondérations en risque de 50% à 150% ont été plus efficaces pour réduire l’octroi de certains types de crédit, ce qui laisse supposer que ce sont des réfactions de cet ordre qui seraient nécessaires pour encourager le crédit vert[2].
Mais serait-il vraiment raisonnable de réduire de moitié les exigences de capital prudentiel pour les crédits verts ? Si cette mesure était appliquée à des crédits immobiliers résidentiels qui bénéficient déjà de pondérations modérées, les banques pourraient créer d’importantes quantités de crédit avec très peu de capital en face. Ce pourrait être une autoroute vers une prochaine crise.
Les banques européennes ont plaidé en faveur d’un Green Supporting Factor. Le facteur de réfaction pour les PME leur a permis de réduire leurs fonds propres prudentiels de quelques 12 milliards d’euros[3]. C’est peu à l’échelle de l’ensemble du secteur, mais pour certaines banques, chaque point de base de levier supplémentaire est un bonus (parfois même au sens propre).
Chercher des solutions plus sûres
Ce qui précède montre qu’un Green Supporting Factor devrait être significatif pour avoir un réel impact. Et dans ce cas, il permettrait aux banques d’accroître leur endettement, ce qui nuirait à la stabilité financière. Le mécanisme du GSF met donc en porte à faux deux objectifs légitimes dans le souci de l’intérêt général – davantage de finance verte, et des banques plus sûres.
Mais cette contradiction peut être facilement surmontée, avec d’autres instruments. On peut encourager la finance verte sans fragiliser les banques. L’une des manières de le faire est d’augmenter les pondérations en risque pour les actifs carbonés, ce qui renforcerait la solidité des banques et découragerait le prêt aux activités carbonées. Pour l’ensemble de la société, sinon pour les banques, un facteur de pénalisation sur le brun est gagnant-gagnant. L’idée a été évoquée par le Directeur Général de la DG Fisma, Olivier Guersent, dans un discours au think tank Bruegel l’année dernière, et a rencontré un fort soutien, y compris de la part de banques pionnières, comme Triodos.
En plus d’un facteur de pénalisation pour le brun, la Commission pourrait envisager des plafonds ou des quotas sur les crédits bruns, des taxes ou prix du carbone, des soutiens à la liquidité et des garanties pour les crédits verts, et des subventions aux emprunteurs de la transition, pour ne citer que quelques exemples. La palette des instruments possibles est très vaste.
Quant au Green supporting factor, il a le mérite de soulever la question pertinente de la direction du crédit, qui mérite d’être ouverte. Mais il est sans doute temps de rejeter la proposition telle quelle et de se concentrer sur des choix plus sûrs, et plus gagnants-gagnants pour l’ensemble de la société.
[1] EBA report on SMEs and SME supporting actor
[2] The Financial Policy Committee’s powers to supplement capital requirements
[3] EBA Ibid
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