L’instabilité du secteur bancaire menace l’économie mondiale
Une nouvelle fois, les turbulences dans le secteur bancaire font peser une menace sur l’économie mondiale. Les autorités gouvernementales ont dû intervenir pour soutenir les banques, tant aux États-Unis qu’en Europe. Selon Thierry Philipponnat, économiste en chef de TechDécouverte, les banques ne sont plus seulement « trop grandes pour faire faillite » (« too big to fail ») mais aussi « trop politiquement connectées pour faire faillite » (« too politically connected to fail »). Pour que le système bancaire ne représente plus une menace pour l’ensemble de l’économie, il est nécessaire de revoir les régulations prudentielles qui le régissent, ainsi que les règles de résolution en cas de crise.
Remarque : Cet entretien avec Arnaud Dumas a été initialement publié sur le site d’information Novethic.
La solidité des banques en question
Les autorités publiques cherchent à rassurer. Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie, affirme que les banques françaises sont suffisamment solides. François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, souligne que les règles prudentielles des accords de Bâle 3 protégeront contre une contagion du risque. « Plus de 400 banques sont soumises à Bâle 3 en Europe, soit la totalité des banques systémiques, alors qu’aux États-Unis, seulement 13 banques y sont soumises », a-t-il rappelé lors de la présentation des résultats de la Banque de France. Malgré ces assurances, les problèmes bancaires continuent de s’accumuler. Après les faillites de Silicon Valley Bank et Signature Bank aux États-Unis, et l’aide apportée par les grandes banques à First Republic Bank, puis le sauvetage de dernière minute de Crédit Suisse par UBS, c’est au tour de Deutsche Bank de susciter des inquiétudes sur le marché. À chaque fois, les autorités publiques interviennent par peur d’une répétition de la crise financière de 2008. Pour Thierry Philipponnat, il est nécessaire de revoir la structure du système bancaire afin de mieux encadrer les risques pris par les banques et d’empêcher qu’un établissement en difficulté n’entraîne toute l’économie dans sa chute.
La fragilité du système bancaire mondial
Thierry Philipponnat : Les faillites de SVB et Signature Bank, ainsi que le rachat de Crédit Suisse, ont des causes complètement différentes. Cependant, ces événements montrent que notre système bancaire est fragile. Les problèmes rencontrés par des actifs qui représentent collectivement moins de 0,5% des actifs bancaires totaux de la planète créent déjà de la panique. Comment est-ce possible ? Il est impossible de concevoir un monde où aucune banque ne connaîtra de difficulté. La question est donc de savoir comment on construit un système qui ne dégénère pas en crise généralisée lorsqu’une banque va mal. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. D’une part, la réglementation prudentielle n’est pas ou très imparfaitement appliquée, ce qui engendre une perte de confiance. D’autre part, quand il y a faillite, les règles de résolution ne sont pas non plus appliquées : au lieu de faire un « bail in », c’est-à-dire que les apporteurs de capitaux, actionnaires et créanciers prennent leurs pertes, on fait du « bail out », c’est-à-dire que la puissance publique intervient en injectant de l’argent public.
Le rôle des autorités publiques dans les crises bancaires
Sheila Blair, qui dirigeait l’autorité de résolution bancaire américaine lors de la crise financière de 2008, expliquait qu’il y avait une règle importante à respecter en matière de résolution : ne pas laisser les décisions aux politiques, car elles sont toujours difficiles à mettre en œuvre et impopulaires auprès des détenteurs de capital. Si les politiques sont aux commandes, ils choisiront toujours de sauver la banque. C’est ce qui s’est passé pour SVB, les autorités américaines ont choisi de garantir les dépôts de personnes qui, pourtant, sont plutôt riches, voire très riches.
En Europe, la directive sur la résolution bancaire (Bank recovery and resolution directive, BRRD) a instauré de bonnes règles en 2015, mais a laissé la possibilité aux politiques d’intervenir. Depuis 2015, il y a eu six faillites en Europe, une seule a été résolue selon les règles, celle de la banque espagnole Banco Popular. Les cinq autres ont bénéficié d’une injection d’argent public pour sauver des intérêts privés.
Les banques sont-elles toutes « too big to fail » ?
Je dirais plutôt que les banques sont « too politically connected to fail », car au moins trois des banques italiennes qui ont fait défaut ou Signature Bank aux États-Unis étaient de petits établissements. C’est donc plutôt l’aspect politique que systémique qui est en jeu.
Je ne critique pas les banques centrales qui agissent pour éteindre le feu, parce qu’il n’y a pas d’autre choix. En revanche, il faut mettre en place des règles de sécurité incendie pour éviter que la maison brûle à la moindre étincelle ! Je le rappelle, à l’échelle de la planète, 0,5% des actifs bancaires c’est une étincelle.
Nous sommes arrivés à un système où la valorisation des banques dépend du soutien de l’État. On l’a vu avec les petites banques américaines dont le cours de bourse a fluctué en fonction des déclarations de Janet Yellen, la secrétaire du Trésor des États-Unis, sur la garantie des dépôts. Les grandes banques américaines, au contraire, ont relativement moins souffert en bourse parce que tout le monde sait qu’elles sont « too big to fail » et qu’elles seront aidées par l’État en cas de besoin.
L’effet pervers du filet de sécurité procuré par les pouvoirs publics aux banques est que leur coût du capital tend à être le même, qu’elles soient bien gérées ou non. Ce n’est pas ainsi qu’un marché financier est censé fonctionner.
Les accords de Bâle 3 sont-ils suffisants ?
Les accords de Bâle 3 ont apporté une amélioration significative par rapport à Bâle 2, ils ont multiplié par trois ou quatre les exigences des ratios prudentiels des banques. Cependant, il faut admettre que l’on partait d’une base très faible. Le problème actuel vient du fait que ces accords sont appliqués de manière imparfaite des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, Bâle 3 ne concerne pas les banques petites et moyennes et, de plus, une loi a été adoptée en 2018 qui a relevé le seuil d’application de 50 à 250 milliards de dollars de bilan. Silicon Valley Bank et Signature Bank échappaient donc à la surveillance.
En Europe, la situation n’est pas beaucoup mieux, pour des raisons différentes. La réglementation s’applique à toutes les banques, quelle que soit leur taille, mais la transposition de Bâle 3 n’est toujours pas achevée. La proposition sur le paquet bancaire actuellement en discussion est une réduction substantielle par rapport à Bâle 3. Les principaux régulateurs bancaires européens, qui se sont exprimés sur le sujet de manière inhabituelle, n’excluent pas la possibilité que le Comité de Bâle déclare l’Union européenne non conforme.
Le risque climatique est-il pris en compte par ces règles prudentielles ?
C’est l’une de nos principales préoccupations chez TechDécouverte. Le changement climatique n’est pas pris en compte dans les règles prudentielles bancaires. Or, c’est bien un risque systémique au niveau financier, si l’on considère que les actifs fossiles seront des actifs échoués. Selon nous, la réglementation prudentielle doit être un outil de gestion du risque. TechDécouverte a publié un rapport montrant que les 60 plus grandes banques du monde détiennent environ 1350 milliards de dollars d’actifs fossiles dans leurs bilans. Il faut donc mettre en face les fonds propres appropriés, c’est-à-dire attribuer aux actifs en portefeuille la pondération prévue par la réglementation pour les actifs risqués. Et si de l’argent est prêté ou investi pour la recherche ou l’exploration de nouvelles ressources fossiles, alors il faut appliquer un ratio de un pour un : un euro de capital pour un euro prêté. Tous les financiers savent que les projets très risqués doivent être financés sur fonds propres.
Malheureusement, dans la proposition actuelle de règlement sur la table des législateurs européens, il n’y a toujours aucune prise en compte du risque climatique. Nous risquons de nous retrouver un jour dans une situation où nous devrons faire face à une crise financière et à une crise climatique en même temps.
Entretien réalisé par Arnaud Dumas pour Novethic.
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